(5) Intermède. La forme du blog

GHISLAIN MOLLET-VIÉVILLE 02.06
Dans vos échanges, je pense qu'il sera beaucoup question de périphérie et de contours, de sujets allant au de-là de ce que l'on connait déjà de vos prises de position, je me réjouis à l'avance de ce que je vais apprendre d'inédit. Mais entre nous, Jean-Baptiste, m'aurais-tu caché beaucoup de choses ?
Oserais-je dire que j'espère aussi de vos propos, que s'y révèlent quelques heurts (on peut faire confiance à Jean-Claude pour cela. Jean-Baptiste, ne te laisse pas faire !). Bien sûr un peu de digression et de perversion seraient bienvenues, je pense que tout cela est dans l'esprit de votre blog.

« Ce n'est pas du tout ce dont il s'agit entre nous », j'aurais beaucoup aimé que ce soit le leitmotiv de votre relation au sein de ce blog. Au fond l'entretien n'est-il pas plus fort sans...?

P.S. Il n'y a que 3 « quand bien même ». Jean-Claude, tu nous avais habitués à plus de laisser-aller !

JCM 02.06 
Mes « quand bien même » ne sont pas du laisser-aller de ma part mais sont en quelque sorte ma marque de fabrique : ma volonté constante de remettre en cause non seulement ce que disent les autres mais ce que j'avance moi-même. 

GHISLAIN MOLLET-VIÉVILLE 03.06 
J'avais bien compris que tes « quand bien même » étaient ta marque de fabrique : ta volonté constante de remettre en cause non seulement ce que disent les autres mais ce que tu avances toi-même. Je te parlais de laisser-aller au sens où tu te laissais aller à la répétition des mêmes termes, ce qui est généralement évité dans les textes.

JCM 03.06  
Je sais mais, précisément, mes textes usent toujours très largement et très volontairement non seulement des « quand bien même » (sans subjonctif la plupart du temps !) mais de la répétition : j'ai toujours trouvé aberrant de maquiller la répétition des termes utilisés en employant des vocables différents.

Comme il est une musique répétitive, la musique processuelle, vive l' « écriture répétitive » !

KARINE LEBRUN 03.06
Vous parlez de la forme-entretien, mais quid de la forme blog ? En fait, ce n'est pas un blog mais plutôt un site qui utilise l'outil du blog. Le dispositif du blog est dans votre cas complètement oublié au profit de votre protocole. On ne peut pas non plus laisser de commentaires.

Je dis cela car il existe des formes-entretien dans des films, comme, par exemple, dans Chronique d'un été, de Jean Rouch et Edgar Morin.

CÉDRIC SCHÖNWALD 03.06
Personnellement, je trouve intéressant que vous vous laissiez polluer par les remarques annexes de vos lecteurs, remarques en relation plus ou moins lâche avec votre échange, mais je trouverais vraiment gênant que, par un surprenant accès de démagogie, vous laissiez « polluer » le blog lui-même par le tout venant des commentaires (il n'y a pas d'usage imposé du blog, même si sa structure, ainsi que celle de nombreux « outils sociaux virtuels » tend à imposer plus ou moins subrepticement des usages, ça paraît évident mais il faut le dire car la plupart se convainquent du contraire et respectent tacitement un code de « bon usage » en ces lieux postmédiatiques comme partout ailleurs...).

Si au moins vous filtriez ensemble et sévèrement les commentaires, alors pourquoi pas...

JCM 03.06
Concernant la remarque de Karine, nous ne prétendons bien évidemment à nulle exclusive concernant le recours à la « forme » de l'entretien pas davantage que le questionnement sur celle-ci (le film de Rouch et Morin en est un exemple parmi beaucoup d'autres, qui mêle de façon jubilatoire entretien, questionnement sur l'entretien, documentaire, questionnement sur la « forme documentaire »… et même interviews, enquête semi-journalistique semi-sociologique, l'enquête sociologique étant elle-même de toute façon d'origine journalistique). Pour ce qui est des commentaires, j'y avais bien entendu pensé (et toi aussi, j'imagine) mais suis quelque peu hésitant. Je suis assez d'accord avec ce qu’écrit Cédric : il n'y a pas à tomber dans la détermination moderniste par le medium. Le blog et l'entretien ne se situent pas exactement sur un même plan : le blog est un medium, voire un post-medium, non l'entretien. Ce qui, certes, ne signifie pas qu'il ne puisse y avoir de questionnement à avoir sur le blog en tant que tel, notamment en rapport avec la notion d'espace public, avec la thèse (contestée) d'une reviviscence de l'espace public engendrée par le Net et les blogs ou, du moins, la notion d'espace public partiel au sens de Jürgen Habermas (Théorie de l'agir communicationnel, 1981, tr. fr. Paris, Fayard, 1987, 2 vol., « Le Contenu normatif de la modernité », 1984, Le Discours philosophique de la modernité, Douze conférences, 1985, tr. fr. Paris, Gallimard, 1988 & Droit et démocratie, Entre faits et normes, 1992, tr. fr. Paris, Gallimard, 1997). Mais je suis le plus souvent atterré par la teneur des commentaires sur les blogs. Alors, les sélectionner comme propose Cédric ? Mais n'est-ce pas un peu délicat, « anti-démocratique » ? « anti-espace public » ?

JBF 03.06
Relativement à l’éventualité de donner place à des commentaires dans ces pages, et outre le fait qu’il semble complètement vain d’attendre « d’authentiques réactions » à nos propos, il m’apparaît que ce sont les outils proposés par le dispositif du blog qui nous indiquent de nouveau une manière de trancher : il n’est techniquement pas possible de « trier » les commentaires avant leurs mises en ligne. « Bon ou mauvais ? » : je considère que trier ceux-ci serait d'ailleurs non seulement laborieux, mais aussi lamentable (et d’ailleurs en quoi aurions-nous besoin de coulisses, pour quel jeu de scène ?). 
Laisser à « quiconque le souhaite » la possibilité d'afficher un commentaire me semble représenter d’une part (comme à nous tous ?) une perspective plaisante voire salutaire. Mais je crains d’autre part que, délayé dans une foule de réactions, le fil des propos sombre imperceptiblement dans une espèce de brouillon géant qui nous amènera tôt ou tard à nous prendre les pieds dans la « tartine de crottes de nez » raillée par nombre de blogueurs, un patchwork sans queue ni tête de développements décousus agrémentés de remarques spontanées (je ne me suis pas fait connaître pour mes positions pro démocratiques, sur le plan des idées… et de l’art !).

Comme nous correspondons quotidiennement avec de nombreux amis, pourquoi ne pas choisir de publier certains des commentaires qu’ils nous feront, dès lors que nous considérerons que ceux-ci pourraient occasionner des rajustements ?

JCM 03.06
C'est là à peu près la proposition de Cédric (bien qu'un peu restreinte puisque ne concernant plus que les personnes avec qui nous sommes reliées par mail, mais peut-être serait-il possible de faire figurer une rubrique « contact » avec nos deux mails ?). C'était aussi le sens de mon dernier mail en faisant, pour l'instant, figurer la réaction de Karine (si elle l'a fait par écrit), la réponse de Cédric, nos réponses à tous deux, et l'autre réaction de Cédric, plus la réaction de Ghislain. On pourrait intituler cela : « La forme du blog ».

CÉDRIC SCHÖNWALD 03.06
... « mais avec la seule volonté de notre part à chacun de prendre en compte ce que l'autre dit. »

J'aime beaucoup cela sans doute parce que je l'éprouve intimement : pour moi c'est toujours le vrai moteur de la critique (d'art ou de n’importe quoi) que la prise en compte de ce que l'autre fait et si cette prise en compte est effective, la critique aura beau être dure ou féroce (la rhétorique et autres effets de manche que nous employons, dans la puissance de leur emballement, peuvent un instant blesser), elle consistera toujours en une réelle attention puisque la prise en compte (de l'autre), c'est une attention (à l'autre).

(Il y a inéluctablement —heureusement ?— partout, l'autorité du lieu, qui dépasse celle du medium puisque le medium n'est pas le tout du contexte même s'il y participe ; l'autorité démocratique prévoit elle-même —en toute autorité et dans la relative liberté du maître des lieux— d’innombrables aménagements à son « démocratisme ».

Si vous assumez néanmoins ce statut a priori quelque peu agaçant ainsi formulé —maîtres des lieux, du moins maîtres du lieu, de ce lieu que vous singularisez en vous l'appropriant— il pourrait être très intéressant, toujours dans un souci « méta », que vous vous justifiez de chacun de vos choix, de tous ceux du moins que vous aurez pensé à discuter : ne pas permettre aux gens de « s'abonner », interdire ou limiter les commentaires etc.)

JBF 05.06
Tu évoquais l’éventualité de faire figurer nos adresses ici, pour tenter d’établir un contact direct avec nos lecteurs et j’apprécie beaucoup cette initiative ! Le fait de faire figurer nos adresses permettra à des personnes que nous ne connaissons pas encore de s’adresser à nous.
Ce que nous abordons dans ces lignes, je trouve très intéressant que tu aies proposé que nous donnions à cette partie « La forme du blog » pour titre, a pour moi un lien direct avec ce qui constituait, pour une part, l’enjeu initial de notre échange : qu’advient-il, sur le plan de l’échange, précisément, à partir du moment où nous apparaît de façon claire que rien ne nous impose d’enchaîner ? (« Une phrase "arrive". Comment enchaîner sur elle ? »)

JCM 05.06
J'apprécie énormément ta dernière phrase : « Une phrase "arrive". Comment enchaîner sur elle ? ». Tout est là, le fait, en parodiant Jean-François Lyotard (« Le Sublime et l'avant-garde », 1983, L'Inhumain, Causeries sur le temps, Paris, Galilée, 1988), qu'arrive une phrase, plutôt que rien. Comme tu le constates, je me contente ici d'enchaîner en te répétant (et en répétant Lyotard), ce qui est aussi une façon d'éviter toute composition (à Ghislain qui incriminait mes continuelles répétitions, je dirai qu'il en est de mes répétitions dans une certaine mesure comme chez Stella et Judd qu'il connaît bien, qu'elles relèvent d'un souci de non-compositionnalité sinon désormais de « totale » non-relationnité —sans tomber pour autant dans une quelconque esthétique relationnelle à la Bourriaud— ou, encore moins, de totalité : cf. Bruce GLASER, "Questions à Stella et Judd",1964, tr. fr. Claude GINTZ ed. Regards sur l'art américain des années soixante, Paris, Territoires, 1979).